12.10 – 16.11.2024
Porte de Vincennes
Le 23 septembre 2024
La Forêt Pensante, c’est le surnom qui fut donné à l’Université de Vincennes, installée au cœur du bois du même nom, à l’Est de Paris, de 1968 à 1980. À la suite de mai 68, afin d’éloigner les révolutionnaires du centre historique de Paris et de l’université de la Sorbonne, le gouvernement De Gaulle décide la construction d’une nouvelle université à la fois expérimentale, révolutionnaire dans son fonctionnement, mais aussi dans ses objectifs.
Une université populaire ouverte aux non diplômés, aux travailleurs et aux étrangers, sans limite d’âge. Une université où le cours magistral est remplacé par le débat, la critique, l’échange et la conversation et qui comporte une crèche afin que les parents puissent continuer d’assister aux cours.
Cette université, nouvelle dans son expérimentation, était caractérisée par une grande liberté laissée aux étudiants et aux mouvements politiques de gauche de l’après-mai 1968, mais aussi par une grande effervescence politique.
En 1980, le président Giscard d’Estaing ordonne de raser le centre universitaire. Muselée puis détruite dans l’opinion publique, l’université gauchiste révolutionnaire créée par un gouvernement droitiste en déroute est fermée sur ordre du ministère contre la volonté de ses responsables et de ses usagers. Il ne reste depuis aucune trace sur le site. Le symbole révolutionnaire héritier de mai 68 disparaît. On la surnomme aujourd’hui encore l’université perdue.
Ce point de rappel politico-historique a son importance, et ce n’est pas pour rien que Laurent Mareschal a choisi comme titre de sa nouvelle exposition, le surnom que l’on donnait alors à l’université de Vincennes. Ce qu’il faut retenir par-dessus tout c’est la rapidité d’action prise par le pouvoir politique en place pour déplacer et/ou faire taire les voix révolutionnaires qui s’érigent, trop nombreuses ou trop fortes, contre ce dernier.
À l’entrée de la galerie, derrière la vitrine, comme un sigle annonciateur de ce qui s’y poursuivra, est suspendue une œuvre éponyme, faite de lettres en néon vert : Bureau d’Échanges. L’invitation est faite, à nous donc d’échanger sur nos idées et de comprendre ce qui se joue dans ces murs.
Non loin, au sol, derrière le lettrage lumineux au fond de la galerie est étendu un tissu anthracite, par-dessus lequel sont disposées des billes en bois. Il ne s’agit pas là d’un plateau de jeu mais d’un message, en braille. Agencées comme les signes en reliefs de l’écriture pour aveugle, leur composition traduit la célèbre lettre de Fénelon, adressée au roi Louis XIV en 1694, qui l’exhorte à écouter son peuple et en entendre ses maux, sous peine de succomber lui-même sous le coup d’une « révolution ».
Si le message de cette Lettre à l’aveugle est sourd pour ce qui regarde l’œuvre, sans comprendre le braille, sourd comme l’a été Louis XIV en son temps, il n’était pas moins annonciateur à l’époque des bouleversements à venir de 1789. Et si les mots de Fénelon ont pu être prophétiques pour la France, l’œuvre est au moins autant annonciatrice du reste de l’exposition.
Juste avant de descendre les escaliers qui mènent à la suite de l’exposition, un montage photographique noir et blanc. Une grande barre de bâtiment universitaire, murée, de laquelle pend de l’une des fenêtres un drap tagué : « Non à la fermeture ». S’il s’agit bien-sûr d’une vue de l’université de Vincennes, nous la voyons ici comme si elle avait survécu et que nous l’observions depuis le prisme de notre époque, à l’heure où la France est dirigée, comme à l’époque, par un gouvernement particulièrement droitiste et conservateur, pour ne pas dire réfractaire.
Il est difficile ici, de ne pas tirer de fil entre la France monarchique, renversée par la révolution et un gouvernement autoritaire qui n’a que faire du résultat des urnes, comme si, à l’instar de la lettre que Fénelon adresse au roi, les revendications populaires non entendues par le gouvernement ne pouvaient que finir en mouvement révolutionnaire. À plus forte raison lorsque l’œuvre vidéo dans cette même pièce : Le Syndicat des IA, montée comme un objet de communication, exhorte les éditeurs d’Intelligences Artificielles à se responsabiliser et à ne plus exploiter de manière systémique la misère sentimentale de leurs client.
Plus encore qu’avec le braille, les œuvres suivantes utilisent des langages codés. Et alors que ces signes sont silencieux tant que nous ne les jouons pas, ils portent en eux des messages bien plus forts qu’il n’y paraît.
Alabama, d’après le morceau éponyme de John Coltrane, composé en 1963 après un attentat raciste du Ku Klux Klan visant une église noire en Alabama, et qui tuera quatre fillettes sur le coup, est une œuvre en cheveux. Cette pièce reprend la partition du morceau qui a servi la cause et la conquête des droits civiques afro-américains aux États-Unis. Les clous blancs font offices de notes sur la partition, des mèches de cheveux tressés les relient comme si le morceau était joué par un instrument de mémoire silencieux où la mélancolie et la colère rentrée qui y président nous touchent particulièrement.
En fond de salle, un long code barre composé de mines de critérium, intitulé Mine de rien est un autre code graphique qui cette fois-ci renvoie à une phrase de l’auteur H.D. Thoreau et son livre phare : La Désobéissance Civile.
À côté de lui, trône un grand calendrier coloré et abstrait de l’année 2023, entièrement réalisé à la main et au feutre, il retrace l’emploi du temps d’un artiste plasticien en milieu de carrière. Le manque de temps libre y est flagrant. Cela sent le vécu…
Plus loin, trois boîtes à musique rassemblées sous le titre You’d Better Start Early, littéralement Mieux vaut s’y mettre tôt entonnent les jingles des sociétés Windows, Mc Donalds et Apple quand on les joue. L’ironie n’est jamais loin.
Depuis la pièce d’à côté, nous parvient le son de l’œuvre vidéo Des Nouilles. Une opérette syndicaliste pour deux chanteuses lyriques et une harpiste, sur la Barcarole d’Offenbach. Les paroles critiquent ouvertement la réforme des retraites entérinée il y a peu avec un passage en force à l’assemblée et l’utilisation de l’article 49.3.
Pourtant, l’œuvre la moins équivoque de toute cette Forêt Pensante restera sûrement ce mégaphone retourné contre le mur. Vecteur de revendications inaudibles et incompréhensibles, il porte bien son nom : Parler aux murs.
Tout pourrait se résumer ici. Les voix du peuple ont beau tenter de se faire entendre, personne ne les écoute. Pire encore, ces voix sont silenciées par des actions politiques radicales, parfois plus qu’autoritaires. La revendication devient alors un combat.
Le combat d’un artiste qui, dans des codes graphiques normalement réservés à la vente et à l’efficience, ne transmet ici que des voix de défiance et des idées de désobéissance civile.
73-75 rue Quincampoix 75003 Paris France
mardi – samedi 14h – 19h et sur rendez-vous
tél : +33 (0)1 42 77 05 97
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